dimanche 23 septembre 2012

Le capitalisme contre la santé - Le Capital contre les travailleurs

Les institutions étatiques produisent des animations pédagogiques relatives au rapport entre la santé et le travail capitaliste. Cependant, en dehors d'une description sommaire des symptômes et de son environnement de travail direct, il manquera toujours à la compréhension des causes de ces pathologies la critique du surtravail dans un contexte de concurrence (entre travailleurs et entre capitalistes). La critique de la nature même du capitalisme. Le stress tue les salariés, les accidents liés à la sécurité également. Cette critique doit donc englober l'ensemble, l' "exigence simultanée de profit et de compétitivité". C'est pour cela que nous publions à la suite de l'animation pédagogique de l'INRS, un texte dont l'ironie du tire Vive le capitalisme ? n'échappera pas à nos lecteurs.





Vive le capitalisme?


Le profit, on le sait, joue un rôle central dans le système capitaliste: on peut le considérer comme l'objectif même que poursuivent les entreprises et les groupes; on doit le considérer au minimum comme la condition nécessaire à leur survie et à leur croissance. Cette contrainte de profit en entraîne une autre: pour se maintenir et se développer, chaque entreprise doit être compétitive par rapport à ses concurrents nationaux et étrangers.
Cette exigence simultanée de profit et de compétitivité pousse spontanément les entreprises dans une double voie: d'une part, réduire les coûts de production en introduisant des progrès techniques et en limitant les salaires; d'autre part, faire pression sur l'Etat pour que celui-ci oeuvre dans le sens souhaité, à savoir la réduction des coûts salariaux et l'augmentation des profits (via les normes de modération salariale, la réduction des charges sociales et des impôts sur les sociétés, etc.).
Le système capitaliste, fondé sur le profit et la concurrence, présente donc deux tendances spontanées: d'une part, l'introduction de progrès techniques, avec les gains de productivité qui en résultent; d'autre part, l'adoption de pratiques et de politiques « néolibérales», visant à réduire les salaires, les dépenses de sécurité sociale, les prélèvements et les dépenses des pouvoirs publics.
Pour contrecarrer cette deuxième tendance spontanée de l'économie capitaliste, il faut qu'existe un rapport de forces relativement favorable aux travailleurs. Ce fut le cas – du moins dans les pays du « centre» – pendant la période 1945-1970: période de hausse des salaires, de développement de la sécurité sociale, d'augmentation des dépenses publiques. Dans un contexte de productivité croissante, les entreprises bénéficiaient à la fois de profits élevés et de débouchés élargis, ce qui stimulait le réinvestissement des profits, la croissance de la production, le développement de l'emploi.
Depuis les années 1980, dans tous les pays, le rapport de forces s'est retourné au détriment des travailleurs, et la tendance spontanée du capitalisme a repris le dessus. Se prévalant des exigences de compétitivité et de rentabilité, les entreprises et les gouvernements de chaque pays font pression sur les salaires et sur l'emploi, sur les dépenses de sécurité sociale, sur les dépenses publiques. Mais on entre alors dans un cercle vicieux général : les politiquesrestrictives adoptées dans un pays appellent des politiques analogues – éventuellement plus restrictives encore – dans d'autres pays. Rationnelles au plan micro-économique (chaque pays veut améliorer la compétitivité de « ses» entreprises pour que celles-ci puissent survivre et se développer), les politiques néo-libérales aboutissent ainsi à un résultat macro-économique absolument contraire: la réduction généralisée des salaires et de l'emploi entraîne une réduction de la demande globale, donc un freinage de la production globale, de l'emploi et de la consommation, et cela dans l'ensemble des pays.

Faute de débouchés suffisants, les entreprises ne réinvestissent qu'une fraction réduite de leurs profits dans des accroissements de production. Le profit global s'investit alors massivement dans des opérations de transferts de propriété, qui ont pris une importance considérable depuis les années 1980 : fusions ou absorptions d'entreprises privées; rachat d'entreprises publiques (c'est le phénomène des privatisations); spéculation sur les monnaies et sur les titres (c'est le phénomène de la « bulle financière ») (1). De telles opérations ne font que renforcer la concentration du capital et le pouvoir de décision économique, accentuant ainsi le caractère antidémocratique de l'économie capitaliste.
Sur un plan strictement économique – abstraction faite de ce déficit démocratique croissant, abstraction faite de la multiplication des drames sociaux – la perpétuation des politiques néo-libérales accentue le divorce entre la croissance des profits globaux et celle des débouchés globaux. Mais cette absurdité macro-économique peut parfaitement répondre aux intérêts des entreprises et groupes dominants: ceux-ci élargissent leurs propres parts de marché, au détriment de rivaux moins bien placés. D'où la pression exercée par ces intérêts dominants sur les pouvoirs publics (nationaux et supranationaux), afin que ceux-ci poursuivent la mise en oeuvre de politiques néo-libérales.
Telles sont les conséquences économiques et sociales qu'entraîne la logique du système capitaliste, fondé sur la recherche des profits et la concurrence. D'où la question, de plus en plus présente et pertinente: vive le capitalisme?

 Article paru dans « La gazette du SPED», trimestriel, n° 15, février 2000

(1) Le développement de la « bulle financière» est généralement considéré comme une cause de la faible
croissance de l'économie : attirés par les perspectives de profits spéculatifs, les investisseurs négligeraient
délibérément la sphère de la production, moins rentable. A notre avis, le développement de la « bulle
financière» est plutôt une conséquence de la faible croissance de l'économie, elle-même due aux
politiques néo-libérales : limités par l'étroitesse des débouchés (en raison de la pression sur les salaires et
les dépenses publiques), les investisseurs cherchent à valoriser leurs capitaux par d'autres moyens, c'est-àdire
par diverses opérations de transfert de propriété.