jeudi 3 mai 2012

La mise à mort du travail





L’organisation scientifique du travail : aliénation, annihilation, suicides. Mode d’emploi de la secte managériale


En même temps que le système capi­ta­liste s’atta­que aux acquis sociaux, nous cons­ta­tons un ren­for­ce­ment des mét­hodes ­scien­ti­fi­ques d’exploi­ta­tion par le tru­che­ment du mana­ge­ment. L’entre­prise n’est pas seu­le­ment le lieu où, pour un temps dét­erminé, on vend sa force de tra­vail ; autre­ment dit, on aliène une partie de son être en éch­ange d’un salaire. L’entre­prise doit main­te­nant être le centre même de la vie sociale. Le temps pour les mana­gers n’est plus ­seu­­le­ment celui défini par la loi, mais celui qu’eux-mêmes défin­issent comme néc­ess­aire au fonc­tion­ne­ment de l’entre­prise. Ils uti­li­sent, ces nou­veaux curés de l’ordre managérial, toute une série d’outils, dont le rés­ultat doit être chez le subal­terne une dép­rogr­am­mation de sa per­son­na­lité. C’est, vous l’avez com­pris, la mét­hode des sectes. Après cette cure de lavage de cer­veau, cer­tains qui ne par­vien­nent pas à attein­dre les objec­tifs qu’ils se sont eux-mêmes fixés en arri­vent au sui­cide. C’est ce qui c’est passé en France à Renault, La Poste, France Télécom.



Dorénavant, tout sala­rié doit avoir l’esprit d’entre­prise, c’est-à-dire celui de la secte managér­iale (1) : ce n’est plus seu­le­ment pen­dant ton temps de tra­vail que tu dépe­nds de l’entre­prise, c’est tout le temps. Voilà le rêve managérial : faire de toi un zombie de l’entre­prise. Il faut que tu dép­asses ton temps légal de tra­vail, il faut que tu renon­ces à tes vacan­ces, il faut que tu devien­nes cadre auto­nome...
L’entre­prise pénètre doré­navant ta vie privée, par­fois jusqu’à l’absurde et même jusqu’au cynisme. Des sémin­aires sont régul­ièrement orga­nisés pour contrôler cet atta­che­ment aux idées de l’entre­prise, et les sala­riés se voient soumis à un véri­table « strip-tease psy­cho­lo­gi­que » visant une remise en cause de leur per­son­na­lité.
Le nouvel enca­dre­ment
Nous pour­rions dire que les anciens chefs ou contre­maîtres trop auto­ri­tai­res qui sév­issaient à l’époque du tay­lo­risme, comme repro­duc­tion de l’ordre mili­taire dans l’entre­prise, ont été rem­placés. Le Mai 1968 français pen­sait en avoir fini avec le tay­lo­risme les petits chefs... « Taylor salaud, le peuple aura ta peau » scan­daient les maoïstes de La Cause du peuple. Mais la bour­geoi­sie elle aussi pres­sen­tait que l’Organisation scien­ti­fi­que du tra­vail (OST) de la pér­iode keynési­enne com­mençait à s’essouf­fler, que d’autres mét­hodes d’exploi­ta­tion fai­sant appel à la moti­va­tion devaient être mises en action. Il fal­lait non seu­le­ment liqui­der la lutte de classe fron­tale, mais sur­tout s’atta­quer aux rés­ist­ances larvées de l’indi­vidu au tra­vail. Il fal­lait com­men­cer par l’étern­elle lutte contre l’absenté­isme, les temps morts, mais aussi le sabo­tage.
Il deve­nait néc­ess­aire qu’existe à côté du syn­di­ca­lisme un ordre interne à l’entre­prise qui s’atta­che à dém­an­teler tout regrou­pe­ment col­lec­tif d’éch­ange d’infor­ma­tions (les appa­reils de bois­son où se regrou­pent les sala­riés, les pots diver­ses, les réunions syn­di­ca­les, les fumoirs). Le but étant de favo­ri­ser l’indi­vi­dua­lisme et l’esprit d’entre­prise, tout en for­mant tout de même une équipe dont le contrôle est assumé par le mana­ger coach (celui-ci dis­pose même d’un petit budget pour les pots orga­nisés sous son contrôle, et non plus de manière « sau­vage » et en son absence par les sala­riés). Le mana­ger doit donc manier avec doigté ce qu’il appelle « l’indi­vi­dua­lisme col­lec­tif », avec des outils comme la for­ma­tion per­ma­nente et les mét­hodes psy­cho­lo­gi­ques.
La sur­veillance du tra­vail effec­tué se fait par le tru­che­ment de la traça­bilité : ges­tion infor­ma­tisée, codes-barres... Son contrôle se fait en amont. Le mana­ger a pour tâche prin­ci­pale de sur­veiller la bonne santé men­tale de ses col­la­bo­ra­teurs (on ne dit plus subal­ter­nes) car le citoyen­nisme d’entre­prise sup­pose une col­la­bo­ra­tion d’égal à égal. D’ailleurs on se tutoie avec les mana­gers, on est leurs potes.
Les mana­gers (bac + 5) n’appar­tien­nent pas au « cœur de compét­ence » de l’entre­prise, mais for­ment cet ordre mobile et agis­sant dont le « cœur de compét­ence » a besoin en per­ma­nence, pour flui­di­fier les infor­ma­tions dans un contexte où la durée de« visi­bi­lité » de l’entre­prise dans la concur­rence mon­diale est de l’ordre de six mois. La secte managér­iale a bien entendu ses codes et référ­ences de manière à se dis­tin­guer du monde pro­fane qu’elle côtoie et mani­pule.
a) Cadres prolé­tarisés ou prolét­aires mys­ti­fiés en cadres ?
En règle géné­rale, nous avons tou­jours placé l’enca­dre­ment comme étant du côté du patro­nat, ou sinon obser­vant vis-à-vis des grèves une neu­tra­lité plus ou moins bien­veillante selon les moments et la force du mou­ve­ment prolé­tarien. Le dével­op­pement de la logis­ti­que, une bran­che de la ges­tion « juste à temps », a pro­gres­si­ve­ment vidé les entre­pri­ses du per­son­nel exé­cutant, c’est-à-dire du per­son­nel sala­rié au sens des élections pro­fes­sion­nel­les : collège employés ou ouvriers, agent de maît­rise et cadres.
Selon les sta­tis­ti­ques, le collège ca­­dres prend de l’exten­sion au point de deve­nir aussi impor­tant et plus que le ­collège employés, le collège agents de maît­rise est en voie de dis­pa­ri­tion. Tout ceci a bien évid­emment des rép­erc­ussion sur les men­ta­lités dans l’entre­prise et la lutte de classe. Etre cadre aujourd’hui, ce n’est pas tou­jours une bon­ne affaire, sur­tout si la pro­mo­tion ne donne aucune rému­nération confor­ta­ble.
Le cadre voit toutes les contrain­tes liées au bon esprit d’entre­prise lui tomber dessus :
dép­la­cement, horai­res (sur­tout pour les cadres auto­no­mes), et au final une aug­men­ta­tion du taux d’exploi­ta­tion com­paré au statut de simple employé. Cette trans­fi­gu­ra­tion/reconnais­sance du prolét­aire en autre chose qu’il est réel­lement fait partie des mét­hodes du mana­ge­ment (ce n’est d’ailleurs pas pour rien que nous disons que le « balayeur » est devenu un « tech­ni­cien de sur­face », la « cais­sière » une « hôtesse de caisse »). L’éman­ci­pation vir­tuelle ne coûte rien au capi­tal, elle lui rap­porte tant qu’elle fait son effet. D’où l’impor­tance d’un contrôle per­ma­nent des « cons­cien­ces ». Ce der­nier ne vise pas seu­le­ment les objec­tifs éco­no­miques à attein­dre, mais plutôt à empêcher tout regrou­pe­ment auto­nome des tra­vailleurs dans un contexte de remise en cause de leurs acquis. La secte managér­iale n’hésite pas à uti­li­ser la mét­hode mys­ti­fi­ca­trice for­ma­lisée par le nazi Rosenberg dont Georges Politzer disait :
« Chaque fois qu’à propos d’un acte qui aggrave la situa­tion de l’exploité, l’exploi­teur l’appelle non pas elen­des Rindvieh (« espèce d’abruti »), mais Hochwohlgeborener Herr Volksgenosse (très estimé Monsieur et Camarade »), « l’exploité demeure asservi phy­si­que­ment, mais il est émancipé métap­hy­siq­uement. La situa­tion des tra­vailleurs peut donc s’aggra­ver conti­nuel­le­ment, ils seront néanmoins mys­ti­que­ment de plus en plus émancipés, car l’exploi­teur peut faire n’im­­porte quoi, pourvu qu’il accorde au peuple sa considé­ration intéri­eure, die innere Achtung. Le natio­nal-socia­lisme a sup­primé le capi­ta­lisme, par res­tric­tion men­tale (2). »
Il ne faut pas sup­pri­mer l’exploi­ta­tion, mais la cons­cience de l’exploi­ta­tion « par res­tric­tion men­tale », dira Politzer, et c’est effec­ti­ve­ment à cette tâche que s’atta­que la secte managér­iale.
L’esprit d’entre­prise, un pas­se­port pour l’emploi
Dès qu’il arrive sur le marché, le pos­ses­seur de sa force de tra­vail doit se vendre. C’est alors que com­mence son cal­vaire et que tom­bent les illu­sions. Il n’a pas un pied dans l’entre­prise que déjà il doit se sou­met­tre à des ques­tion­nai­res sur sa vie privée et celle de ses pro­ches, sur ses acti­vités spor­ti­ves, artis­ti­ques, poli­ti­ques et, sous-entendu, syn­di­ca­les. On va même jusqu’à lui deman­der les nom et adres­ses des per­son­nes de son entou­rage pou­vant donner des infor­ma­tions à son sujet. Nous voyons que dès le début, le citoyen d’entre­prise est un sus­pect. Dès son intro­ni­sa­tion, il est mis en situa­tion de qua­ran­taine c’est-à-dire en CDD renou­ve­la­ble, le temps de vérifier l’amour qu’il va porter à l’entre­prise, sa dévotion, son sens non seu­le­ment de l’alié­nation mais aussi sa capa­cité à rele­ver les défis de l’impos­si­ble en ce don­nant des objec­tifs impos­si­bles à attein­dre. C’est à ce niveau qu’entre dans la danse la secte managér­iale qui en per­ma­nence va jouer sur le crédo valo­ri­sa­tion/déva­lo­ri­sation de l’indi­vidu vis-à-vis de ses pairs. Elle dis­pose de toute une série d’outils de contrôle et de sur­veillance de l’indi­vidu au tra­vail par le tru­che­ment des tech­no­lo­gies de l’infor­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion (TIC).
a) Les éval­uations per­ma­nen­tes
Mais sus­pect tu restes, et on va vite te faire com­pren­dre que tu n’es plus dans une obli­ga­tion de moyen vis-à-vis de l’entre­prise mais que tu as une obli­ga­tion de rés­ultat. Après t’avoir bien les­sivé le cer­veau la secte managér­iale passe à ton éval­uation. Il s’agit de tout un pro­ces­sus de nota­tion selon des critères nor­ma­tifs, regroupés sous le terme de « compét­ence ». L’éval­uation n’est que rare­ment posi­tive pour le sala­rié, elle engen­dre plutôt tout un système de sanc­tions en fonc­tion de grilles de rés­ultats. Si le sala­rié n’atteint pas ses objec­tifs, il devient rapi­de­ment incompétent dans sa fonc­tion. C’est a ce moment que les pre­mières dés­ta­bi­li­sations com­men­cent, pou­vant mener à la relé­gation de l’indi­vidu. C’est là qu’inter­vient l’anni­hi­la­tion de ses capa­cités, et que faute de faire partie d’une com­mu­nauté de rés­ist­ance à la folie du capi­tal, il va som­brer dans la dépr­ession et le sui­cide (3).
Cette mét­hode de déva­lo­ri­sation est sur­tout uti­lisée pour par­ve­nir à une dém­ission du sala­rié, mais aussi elle peut jouer sur l’aspect affec­tif du type déva­lo­ri­sation /valo­ri­sa­tion afin que les objec­tifs soient atteints. Ce fut le cas dans un hôpital de Paris où les filles de salle se virent infli­ger des for­ma­tions de redy­na­mi­sa­tion.
b) La VAE, l’obli­ga­tion de for­ma­tion et les cer­ti­fi­ca­tions
La « vali­da­tion des acquis de l’expéri­ence » (VAE) n’est pas neutre, même si elle nous est présentée comme vou­lant « réd­uire la frac­ture entre jeunes diplômés et anciens expé­rimentés ». Elle fait partie intégr­ante du système de remise en cause de l’indi­vidu à son poste et de son employa­bi­lité. Elle devient l’ins­tru­ment idéo­lo­gique des reconver­sions inter­nes des fai­ble­ment diplômés et prétend sortir la for­ma­tion diplô­mante de son carcan sco­laire tout en ren­forçant le rôle tuto­rial de la secte managér­iale.
Dès que celle-ci s’empare de la for­ma­tion, nous ne sommes plus dans le cadre de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle type diplôme d’entre­prise validé par une aug­men­ta­tion de salaire ou un chan­ge­ment de grade. La secte managér­iale ne conçoit pas la for­ma­tion comme moyen d’amél­iorer le prix de la vente de la force de tra­vail, ce qu’elle veut c’est tout le contraire. La for­ma­tion pour elle doit deve­nir une obli­ga­tion, un moyen pour le sala­rié de main­te­nir son employa­bi­lité menacée par la concur­rence. Tout comme la lec­ture de la Bible prouve son atta­che­ment à Dieu, la for­ma­tion prouve son atta­che­ment, sa dévotion, son alié­nation et anni­hi­la­tion à l’entre­prise.
Ce n’est pas un hasard si en 2004, l’Union des Industries de la Communauté europé­enne (Unice) et la Confédération europé­enne des syn­di­cats (CES) ont placé la for­ma­tion au centre du trai­te­ment social du chômage et de l’employa­bi­lité. De ce cons­tat devait naître le concept de la for­ma­tion tout au long de la vie, (Echanges n° 109, été 2004), c’est-à-dire l’obli­ga­tion de se former en per­ma­nence pour main­te­nir sa qua­li­fi­ca­tion et son emploi. Afin de donner un sem­blant de réal­isme à cette mys­ti­que d’entre­prise, le patro­nat et ses col­la­bo­ra­teurs ont fait inter­ve­nir le consom­ma­teur qui doit être informé, ras­suré, sécurisé, sur le pro­duit final qu’il achète. De là l’émerg­ence inter­na­tio­nale de normes de cer­ti­fi­ca­tion ISO 9000 qui doi­vent cer­ti­fier la confor­mité de l’entre­prise à cer­tai­nes règles de qua­lité. Comme le cer­ti­fi­ca­teur est une entre­prise privée, rét­ribuée par l’entre­prise contrôlée, on peut s’inter­ro­ger sur la valeur d’une telle cer­ti­fi­ca­tion pour le client ; mais pour l’entre­prise elle est un moyen de plus de faire pres­sion sur ses sala­riés, tou­jours très stressés par ces contrôles. La « for­ma­tion » est l’outil idéo­lo­gique le plus per­ni­cieux du xxie siècle et il faudra l’affron­ter direc­te­ment à ce titre.
Les tech­no­lo­gies de l’infor­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion au ser­vice du capi­tal
Avec l’intro­duc­tion des TIC, nous assis­tons à un véri­table saut qua­li­ta­tif du contrôle sécu­rit­aire des entre­pri­ses. Les entre­pri­ses sont de véri­tables sanc­tuai­res, sou­vent com­parées par les sala­riés eux-mêmes à la CIA, au Pentagone ou aux pri­sons. L’uti­li­sa­tion des TIC permet pour la pre­mière fois dans l’his­toire de l’huma­nité la fusion entre sur­veillance et pro­ces­sus de tra­vail (4). Par exem­ple, il n’est plus pos­si­ble de se dép­lacer libre­ment d’un ser­vice, ou d’un étage, le sala­rié dis­pose d’un badge qui ne fonc­tionne par exem­ple que pour aller à son poste de tra­vail, à la can­tine... Des vidéos sont en action en per­ma­nence et toute l’archi­tec­ture des nou­vel­les entre­pri­ses vise à ne plus lais­ser de refuge au non-tra­vail : obli­ga­tion de tra­vailler la porte ouverte, ou tra­vail en « pla­teau » et trans­pa­rence des cloi­sons (exem­ple le groupe AXA).Tout est fait pour favo­ri­ser la lutte de tous contre tous, jusqu’à un cer­tain point. L’intro­duc­tion des TIC permet de cen­tra­li­ser en temps réel les infor­ma­tions et les prises de décisions, sans contact phy­si­que. Les nou­vel­les tech­no­lo­gies ont ouvert la voie au tra­vail à domi­cile, aux téléconf­érences... Un retour au tra­vail à domi­cile comme celui qui avait précédé les gran­des concen­tra­tions rede­vient pos­si­ble mais à une éch­elle bien supéri­eure puisqu’elle agit dans le temps et l’espace. On tra­vaille par­tout et en tout lieu avec son ordi­na­teur, dans les trans­ports, les hôtels... il n’y a plus de sphère privée.
Cette fusion entre le pro­ces­sus de tra­vail et son contrôle per­ma­nent va rendre obsolète le per­son­nel de sur­veillance des gran­des entre­pri­ses cen­tra­lisées. Tout ce per­son­nel sera donc relégué au musée, et entrera dans la caté­gorie des éco­nomies d’éch­elle. Le tra­vail semble doré­navant intrinsèq­uement auto-sur­veillé, suivi à la trace à toutes les étapes de la lean pro­duc­tion. L’entre­prise peut main­te­nant deve­nir un puzzle, elle éclate, se délo­ca­lise, se recom­pose, s’exter­na­lise, se filia­lise, sans être pro­fondément per­turbée (5).
Les conséqu­ences de la «  lean pro­duc­tion »
La lean pro­duc­tion est un concept global qui regroupe la poly­va­lence, le tra­vail de groupe, le flux tendu, le zéro défaut, la traça­bilité, la qua­lité... La mise en action de ce mode de ges­tion prin­ci­pa­le­ment arti­culé autour du système du flux tendu s’est pro­gres­si­ve­ment développé à partir des années 1980, années où la ren­ta­bi­lité des entre­pri­ses attei­gnait son point bas. Ce sont les entre­pri­ses japo­nai­ses qui adoptèrent le système du flux tendu, notam­ment dans le sec­teur auto­mo­bile (6) : plus de ges­tion des stocks, donc une éco­nomie en capi­tal qu’il était pos­si­ble de réinv­estir rapi­de­ment. La ges­tion à flux tendu peut à ce niveau être considérée comme un moyen de contrer la ten­dance à la baisse du taux de profit.
Non seu­le­ment elle a gagné toute l’indus­trie mon­diale, mais aussi le sec­teur des ser­vi­ces, de la dis­tri­bu­tion, des ban­ques, des assu­ran­ces, de la poste,des hôpitaux... Ces sec­teurs, nous dit-on, « s’indus­tria­li­sent ». Ce qui d’une cer­taine manière n’est pas faux, la nou­velle OST ne fai­sant plus ses rava­ges uni­que­ment dans le sec­teur indus­triel. Le for­disme et le tay­lo­risme n’avaient ni les moyens tech­no­lo­gi­ques ni les indi­vi­dus formés pour pous­ser plus avant leurs systèmes dans le sens d’une poly­va­lence des « métiers stan­dar­disés » bien que les bases fus­sent déjà bien prés­entes.
Si à ses débuts la poli­ti­que du flux tendu ne visait que deux objec­tifs – rép­ondre plus rapi­de­ment à la demande et dimi­nuer le niveau des stocks immo­bi­li­sant du capi­tal –, il appa­raîtra rapi­de­ment que cette ges­tion entraîne une remise en cause géné­ralisée des métiers, des conven­tions col­lec­ti­ves, des clas­si­fi­ca­tions, de la for­ma­tion et de la pos­ses­sion du savoir dans tous les sec­teurs.
L’entre­prise ne se conçoit plus comme un empi­le­ment de dép­ar­tements avec ses sala­riés regroupés par métiers dans des ser­vi­ces spéc­ialisés, ou toute absence devait être com­pensée par un spéc­ial­iste du même métier (inté­rim­aire ou autres). Avec le flux tendu, il faut que le recours aux spéc­ial­istes devien­nent excep­tion­nel (7) ou dirigé à dis­tance. Il faut qu’un maxi­mum du savoir détenu par le spéc­ial­iste puisse être stan­dar­disé pour être traité sur ordi­na­teur par un sala­rié poly­va­lent peu qua­li­fié tech­ni­que­ment. Mais pour assu­rer cette poly­va­lence de manière auto­nome, ces diver­ses tâches peu qua­li­fiées, l’élé­vation du niveau sco­laire doit être au niveau du bac­ca­lauréat plus deux années.
Cette nou­velle donne, qui fut ensei­gnée à grande éch­elle par l’Education natio­nale, allait livrer aux entre­pri­ses le matériel humain for­maté à cet effet. C’est alors que les clas­si­fi­ca­tions par métiers (type Parodi) (8) furent remi­ses en cause au profit de critères clas­sant par fonc­tions. Les diplômes per­di­rent toute valeur en face d’un tel clas­se­ment, aussi bien les diplômes pro­fes­sion­nels que les diplômes d’Etat qui n’étaient plus qu’un pas­se­port pour l’emploi.
Les sala­riés vont vite déc­ouvrir que de toi­let­tage en toi­let­tage, leurs conven­tions de bran­che se réd­uiront à n’être qu’un règ­lement en faveur de l’employeur, et que des négoc­iations de bran­che il ne res­tera plus rien, sauf sur la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle tout le long de la vie et d’autres brou­tilles. Le sala­rié indi­vi­dua­lisé dans sa fonc­tion devra doré­navant passer à un statut de sala­rié nomade ; il se devra d’être mobile, flexi­ble, adap­ta­ble ; son obli­ga­tion contrac­tuelle vis-à-vis de l’employeur ne sera plus qu’une obli­ga­tion de rés­ultat, son savoir devien­dra pro­priété de l’entre­prise (9), son temps de tra­vail légal n’est plus qu’une façade. Les salai­res, quand ils ne sont pas liés à la pro­duc­ti­vité ou à une pro­mo­tion, sont régul­ièrement laminés par l’infla­tion ram­pante.
La poli­ti­que de la nou­velle OST, ins­pirée idéo­lo­giq­uement par le moné­tar­isme, est anti-syn­di­cale et il faut enten­dre par là qu’elle ne pense pas utile de conser­ver une situa­tion de contre-pou­voir légal, sauf à l’intégrer comme struc­ture d’entre­prise. D’ou les offen­si­ves répétées contre le syn­di­ca­lisme coges­tion­naire de la Confédératio alle­mande des syn­di­cats (DGB), la réf­orme des syn­di­cats en France...
« En Allemagne, le modèle de base est mis en cause, “l’éco­nomie sociale de marché” basée sur un consen­sus entre des grou­pes sociaux ayant des intérêts diver­gents, mais tous les deux res­pon­sa­bles et rai­son­na­bles, asso­ciés dans une “coges­tion des entre­pri­ses” est considérée par beau­coup d’inter­lo­cu­teurs patro­naux comme ina­daptée aux temps moder­nes. » (La Lettre de Confrontations Europe, août- sep­tem­bre 2003)
Nous voyons ici que le système coges­tion­naire alle­mand, pour­tant très coopérant, ne convient plus « aux temps nou­veaux ». Une chose est cer­taine et Jean Gandois (10) le confirme le patro­nat européen veut mettre un terme aux systèmes natio­naux d’asso­cia­tion capi­tal tra­vail trop dis­pa­ra­tes. “ Une telle dém­arche n’exclut pas une diver­sité au plan natio­nal, mais celle-ci ne serait pas com­pa­ti­ble avec le main­tien de systèmes natio­naux aussi dis­pa­ra­tes que ceux exis­tants aujourd’hui. ” (La Lettre de Confrontations Europe (août-sep­tem­bre 2003)
La poli­ti­que sociale per­son­na­lisée, le règne de l’indi­vidu égoÏste
C’est au cours des années 1980 que le patro­nat français a développé ce qu’il appel­lera la « poli­ti­que sociale per­son­na­lisée ». Cette nou­velle donne visait à intro­duire l’idée qu’une redis­tri­bu­tion sala­riale pou­vait se faire en fonc­tion des gains de pro­duc­ti­vité. Dorénavant l’aug­men­ta­tion des salai­res ne devait plus être l’abou­tis­se­ment des luttes socia­les (elles met­traient en péril l’entre­prise), mais l’abou­tis­se­ment de solu­tions plus per­son­na­lisées.
Le CNPF (devenu Medef ) déc­lare tout haut qu’il faut rem­pla­cer les reven­di­ca­tions du col­lec­ti­visme syn­di­cal par la poli­ti­que sociale per­son­na­lisée. Bien entendu, pour y par­ve­nir, il fal­lait que le patro­nat et le gou­ver­ne­ment œuvrent à ato­mi­ser et frag­men­ter le monde du tra­vail : c’est ce qui se pro­duira avec l’écla­tement du temps de tra­vail et les lois Aubry sur les 35 heures. Il était ensuite néc­ess­aire de procéder au déman­tèlement du « col­lec­tif » : les conven­tions col­lec­ti­ves ont été « net­toyées et dét­ricotées », les clas­si­fi­ca­tions par métiers type Parodi liquidées dans de nom­breux sec­teurs et sont en voie de l’être dans les autres. Des clas­si­fi­ca­tions indi­vi­dua­lisées par fonc­tions ont mené à l’indi­vi­dua­li­sa­tion des salai­res. Des accords signés par les syn­di­cats ont laissé s’ins­tal­ler une liai­son salaire-pro­duc­ti­vité, c’est-à-dire le salaire au mérite, qui se résumait à paupé­riser une partie des sala­riés au profit d’une autre par une mise en concur­rence.
a) Salaire et pro­duc­ti­vité, la méri­toc­ratie mise en échec
La ques­tion sala­riale, c’est-à-dire celle de la recons­ti­tu­tion de sa force de tra­vail pour soi et sa famille, est le point nodal qui décl­enche les grèves, émeutes et révo­lutions. Dans un monde de concur­rence et d’excédent de forces pro­duc­ti­ves tant matéri­elles qu’humai­nes, la ten­dance à la baisse des salai­res (ledit coût du tra­vail) est pour le capi­tal un des remèdes à sa survie et son rêve c’est d’obte­nir le plus pos­si­ble de tra­vail gra­tuit.
Dès les années 1980 (celles de la lutte contre l’infla­tion et du retour­ne­ment moné­tar­iste), le capi­tal finan­cier ne peut plus jouer sur l’infla­tion puis­que sa poli­ti­que est celle de l’endet­te­ment géné­ralisé et son profit les taux d’intérêts (11). Si l’infla­tion reprend for­te­ment, dans un système d’endet­te­ment, les finan­ciers seront rem­boursés à perte et le système s’effon­drera.
Une des solu­tions pour com­pen­ser la baisse du taux de profit a été de s’atta­quer au niveau planét­aire au salaire différé du monde du tra­vail (notam­ment (la santé et la retraite) mais aussi aux indexa­tions des salai­res (éch­elle mobile ita­lienne) (12), aux primes d’ancien­neté ou autres... mais aussi d’intro­duire une norme qui avait dis­pa­rue avec la men­sua­li­sa­tion : la liai­son salaire-pro­duc­ti­vité. Seulement il est vite apparu que l’indi­vi­dua­li­sa­tion des salai­res ne repo­sait sur aucun critère matériel solide. Elle n’était qu’une mys­ti­que qui fut à l’époque bien cernée par un réd­acteur du jour­nal L’Usine nou­velle (J. Meilhaud) qui s’inter­ro­geait : « L’objec­tif de l’indi­vi­dua­li­sa­tion est d’encou­ra­ger et de réc­omp­enser la per­for­mance. Mais hier la per­for­mance était syno­nyme de ren­de­ment, alors qu’aujourd’hui le ren­de­ment n’est plus qu’un critère de per­for­mance parmi d’autres » ; et il reconnais­sait non seu­le­ment le côté rela­tif de la per­for­mance, mais aussi son côté absolu :
« Dans les indus­tries les plus auto­ma­tisées, le ren­de­ment, dans son accep­ta­tion pure­ment quan­ti­ta­tive, n’a plus guère de sens puis­que, pour modi­fier le rythme de pro­duc­tion, il suffit d’appuyer sur un bouton ou de dép­lacer une manette. »
Les prém­isses de l’auteur sont justes, mais il ne semble pas voir que pour le capi­tal les gains de pro­duc­ti­vité se sont déplacés  ; ils concer­nent main­te­nant tous les critéres de la lean pro­duc­tion c’est-à-dire, pour repren­dre une déc­la­ration de Giscard, le « dép­as­sement de la quan­tité vers la qua­lité : du niveau de vie vers le genre de vie, de la rému­nération du tra­vail vers le contenu et le sens du tra­vail... » (Démocratie franç­aise, Fayard, 1976). Ce qua­li­ta­tif contre quan­ti­ta­tif fut durant des années le dada de l’auto­ges­tion­naire CFDT, qui pré­parait le ter­rain aux nou­veau apôtres d’une mys­ti­que du tra­vail vou­lant exor­ci­ser le salaire et le sala­riat.
Ce n’est pas non plus un hasard, si les lois Auroux et leur « droit d’expres­sion » des sala­riés inter­di­sait toute expres­sion sur les salai­res. A la reven­di­ca­tion col­lec­tive devait se sub­sti­tuer un chan­ge­ment des men­ta­lités, plus centré sur l’indi­vidu. Ce n’est certes pas nou­veau, les cor­po­ra­tis­tes et ­Hit­ler lui même prônaient déjà cette mys­ti­que :
« Au pou­voir de la majo­rité est opposé celui de la res­pon­sa­bi­lité de la per­son­na­lité. Toute l’orga­ni­sa­tion de l’Etat devra repo­ser et déc­ouler du prin­cipe de la per­son­na­lité depuis la plus petite cel­lule jusqu’au gou­ver­ne­ment suprême. » (A. Hitler, Mein Kampf)
Les gains de pro­duc­ti­vité vont prin­ci­pa­le­ment repo­ser sur le gel des salai­res, et sur la dés­inde­xation de ceux-ci sur les prix, ainsi que tout système visant à des auto­ma­tis­mes en fonc­tion de l’infla­tion, qui pour le libé­ral­isme avaient été ter­rassée. Les seuls ajus­te­ments en masse des salai­res furent l’intér­es­sement et la par­ti­ci­pa­tion et en prime la méri­toc­ratie, pour le patro­nat :
« Le main­tien du pou­voir d’achat n’est pas un dû, il doit, au-delà d’un cer­tain seuil, se mériter. »
(La Vie franç­aise, 10 déc­embre 1984)
Quand le gou­ver­ne­ment « socia­liste » lança son opé­ration d’indi­vi­dua­li­sa­tion des salai­res à la Seita (pri­va­tisée en 1995, deve­nue Altadis en 1999), la rép­lique fut imméd­iate : les sala­riés se mirent en grève. De même chez Facit-Ericsson à Colombes. Dans les assu­ran­ces à la SMABTP, c’est l’enca­dre­ment qui refu­sera d’appli­quer le système, le jugeant dan­ge­reux pour la paix sociale des ser­vi­ces.
Dès 1984, le salaire au mérite ne passe pas, aussi bien dans la fonc­tion publi­que que dans le privé, malgré un son­dage IFOP qui indi­que que 76 % des sala­riés y sont favo­ra­bles. Mais comme l’indi­vi­dua­li­sa­tion des salai­res fait partie intégr­ante du mana­ge­ment visant à « indus­tria­li­ser » aussi la fonc­tion publi­que, Jacques Chirac, alors pré­sident de la République, lance un pre­mier ballon d’essai chez les fonc­tion­nai­res. Depuis 2003 la rému­nération au mérite essaye de s’impo­ser dans la fonc­tion publi­que, plus comme élément divi­seur que sta­bi­li­sa­teur : ce type de rému­nération n’est pas viable à moyen terme. Par contre, sa relance par le pré­sident de la République Nicolas Sarkozy vise une dés­ta­bi­li­sation remet­tant en cause les systèmes de clas­si­fi­ca­tion.
Les dés­ta­bi­li­sations psy­cho­lo­gi­ques et phy­si­ques
Pour dis­tri­buer les bonnes et mau­vai­ses notes, l’enca­dre­ment va uti­li­ser une large palette d’éval­uation du sala­rié. Comme nous venons de le voir ce ne sont plus le métier ni le diplôme qui vont jus­ti­fier salaire et emploi, mais des critères comme la compét­ence, l’idéo­logie maison, l’esprit d’ini­tia­tive, l’auto­no­mie... L’éval­uation de l’indi­vidu dans ses diver­ses fonc­tions va deve­nir la norme, le sala­rié est alors enserré dans un système culpa­bi­li­sa­teur où toute défaill­ance devient un manque de compét­ence et de fait un échec indi­vi­duel. Echec d’autant plus grave quand c’est l’indi­vidu lui-même qui s’est fixé les objec­tifs qu’il n’a pas atteints : c’est là que com­men­cent les dés­ta­bi­li­sations psy­cho­lo­gi­ques qui mènent aux dépr­essions et sui­ci­des. Récemment, l’Organisation mon­diale de la santé (OMS) révélait que le taux de sui­cide au Japon dép­assait les 25 pour 100 000 habi­tants, soit un chif­fre supérieur à 30 000 pour la onzième année consé­cu­tive. La France a connu une vague de sui­ci­des dans plu­sieurs sec­teurs – chez Renault Guyancourt, à La Poste, à l’Office natio­nal des forêts… mais ce sont les sui­ci­des à France Telecom qui sont les plus révé­lateurs de la liai­son entre la pres­sion managér­iale et les sui­ci­des. France Telecom avait décidé de faire son regenéring et s’était fixé un plan en 2005 visant à aug­men­ter la pro­duc­ti­vité de 15 % en trois ans. La secte managér­iale devait ouvrir la chasse à l’homme et liqui­der par le stress et les dép­rogr­am­mations indi­vi­duel­les 22 000 emplois, et faire en sorte que 10 000 sala­riés chan­gent de métier. Il en rés­ulta que les effec­tifs de France Télécom passèrent de 161 700 à 103 000 entre 1996 et 2009.
« Chaque fois qu’un sala­rié est confronté dans l’urgence à des tâches pour les­quel­les il n’est pas suf­fi­sam­ment préparé ou doté de moyens conséquents, chaque fois qu’il ne peut obte­nir l’aide de ses collègues ou supérieurs et qu’il n’est pas reconnu dans sa fonc­tion, il risque de connaître des trou­bles de santé d’ordre psy­cho­so­ma­ti­que. » (Serge Paugam, Le Salarié de la pré­carité. Les nou­vel­les formes de l’intég­ration pro­fes­sion­nelle, Paris, PUF, 2000, p. 220)
Pour conclure
Le patro­nat n’aura de cesse de mener une véri­table guerre contre tout, abso­lu­ment tout ce qui peut favo­ri­ser le regrou­pe­ment et la rés­ist­ance au tra­vail des exploités. Il a concassé le temps de tra­vail, fait du contrat de tra­vail à durée dét­erminée un objec­tif à attein­dre pour la mul­ti­tude de contrats préc­aires, il a en per­ma­nence déplacé les sala­riés d’un site à un autre (la mobi­lité dite géog­rap­hique) pour que ne puis­sent pous­ser des raci­nes de rés­ist­ance, mais aussi comme moyen pous­sant aux dém­issions ; il pra­ti­que de plus en plus le chan­tage aux délo­ca­li­sations pour faire chuter les salai­res.
« De fait, selon le psy­chia­tre et psy­cha­na­lyste Christophe Dejours, spéc­ial­iste de psy­cho­pa­tho­lo­gie du tra­vail, les espa­ces de ren­contre et de cama­ra­de­rie ont été réduits à l’intérieur des entre­pri­ses. Les nou­veaux mana­gers enten­dent éra­diquer toute culture ouvrière, toute soli­da­rité entre sala­riés. Dans ce cadre, le collègue devient un rival, par­fois un adver­saire – cer­tai­nes for­ma­tions d’entre­prise inci­tent à dével­opper un esprit d’agres­si­vité à l’égard de l’autre : c’est la culture et le voca­bu­laire bel­li­queux pro­pres à la “guerre éco­no­mique” dont les sala­riés doi­vent être les “petits sol­dats”. Dans le docu­men­taire J’ai (très) mal au tra­vail, un représ­entant du Medef, très sûr de lui et de sa rhé­to­rique managér­iale, affirme tran­quille­ment : “Avant, pour se confron­ter aux autres, on avait la guerre. Aujourd’hui on a l’entre­prise. C’est peut-être pas si mal.” En par­ti­cu­lier, “appren­dre aux gens à éli­miner leur coéq­uipier, ça ne peut pas donner des syn­di­ca­lis­tes”. Il s’agit bien de faire voler en éclats toute forme d’entraide entre tra­vailleurs et, en der­nier res­sort, de réfréner la lutte de classe. » (« Les formes actuel­les de la souf­france au tra­vail en système capi­ta­liste », op. cit. [voir note 1])
Alors le seul salut qui nous permet non seu­le­ment de rés­ister, mais de repren­dre l’ini­tia­tive contre tous les petits Néron (13) de la secte managér­iale, c’est de nous unir et de rép­liquer coup pour coup. Il faut que la peur change de camp.
Gérard Bad
août-sep­tem­bre 2010

Bibliographie

L’Entreprise effi­cace à l’heure de Swatch et McDonald’s, Guillaume Duval, éd.Syros, 1998.
« Classe ouvrière… ou tra­vailleurs frag­mentés ? », de João Bernardo (13 avril 2008), in Ni ­pa­­trie ni fron­tières n° 25-26.
« Les formes actuel­les de la souf­france au tra­vail en système capi­ta­liste », de Laura Fonteyn, Le Cri des tra­vailleurs n° 30, jan­vier-février 2008 (jour­nal du Groupe Cri).

NOTES

(1) Albert Durieux et Stéphène Jourdain citent dans L’Entreprise bar­bare (Albin Michel, 1999, p.137) un juge­ment esti­mant que le groupe Intermarché pou­vait être assi­milé à une secte ; la charte des « Mousquetaires de la dis­tri­bu­tion » exige en effet de ses can­di­dats de pri­vilégier leur entre­prise au dét­riment de leur famille ; un docu­ment interne parle à ce sujet de « credo » et de « foi ».# Voir « Les formes actuel­les de la souf­france au tra­vail en système capi­ta­liste », par Laura Fonteyn, Le Cri des tra­vailleurs n° 30, jan­vier-février 2008.
(2) Georges Politzer, Ecrits, 1 : La Philosophie et les Mythes, Editions socia­les, 1973.
(3) En août 2010, deux fores­tiers de l’Office natio­nal des forêts (ONF) se sont donnés la mort sur leur lieu de tra­vail, ce qui porte le nombre des sui­ci­des dans cet orga­nisme à 17 depuis cinq ans. En cause, selon un com­mu­ni­qué de la CGT, « la dég­ra­dation des condi­tions de tra­vail, la perte de sens du métier et un type de mana­ge­ment centré sur l’indi­vidu au dét­riment du col­lec­tif ».
(4) Voir « Classe ouvrière… ou tra­vailleurs frag­mentés ? », de João Bernardo (13 avril 2008), in Ni pa­­trie ni fron­tières n° 25-26, dont nous avons rendu compte dans Echanges n° 126 (automne 2008).
(5) Exemple les plates-formes télép­ho­niques aux Indes et au Maroc.
(6) Voir Restructuration et lutte de clas­ses dans l’indus­trie mon­diale, antho­lo­gie d’Echanges, éd. Ni patrie ni fron­tières, 2010.
(7) En fait il est transféré à la main­te­nance qui devient un élément sen­si­ble du flux tendu.
(8) Les clas­si­fi­ca­tions Parodi, du nom de celui qui les a ins­ti­tuées, Alexandre Parodi (1901-1979). Membre du Conseil natio­nal de la Résistance, minis­tre du Travail et de la Sécurité sociale de sep­tem­bre 1944 à octo­bre 1945, il par­ti­cipe aux textes fon­da­men­taux rela­tifs à la Sécurité sociale, aux comités d’entre­prise et au statut de l’immi­gra­tion. Il est à l’ori­gine en 1945 de la clas­si­fi­ca­tion des ouvriers : manœuvres, ouvriers qua­li­fiés et ouvriers spéc­ialisés.
(9) Le savoir-faire doit être la pro­priété de l’entre­prise et non celle du sala­rié ou du col­lec­tif de tra­vail, telle est la nou­velle doc­trine juri­di­cia­lisée par les employeurs.
(10) Jean Gandois (né en 1930), a été notam­ment PDG de Sollac, puis de Rhône-Poulenc, puis de Pechiney, puis pré­sident du CNPF (de 1994 à 1997) ; il est actuel­le­ment vice-pré­sident du conseil d’admi­nis­tra­tion de Suez.
(11) « Il faut encore sou­li­gner cet aspect impor­tant du point de vue éco­no­mique : comme le profit prend ici pure­ment la forme de l’intérêt, de telles entre­pri­ses demeu­rent pos­si­bles si elles rap­por­tent sim­ple­ment l’intérêt et c’est une des rai­sons qui empêche la chute du taux général de profit, parce que ces entre­pri­ses, où le capi­tal cons­tant est immense par rap­port au ­ca­pi­tal varia­ble, n’inter­vien­nent pas néc­ess­ai­rement dans l’éga­li­sation du taux général de profit. » (Le Capital, Editions de Moscou t. 3, p 461.)
(12) En mars 1984, 700 000 ouvriers sont dans les rues de Rome contre la remise en cause de l’éch­elle mobile des salai­res.
(14) Néron contrai­gnit Sénèque à se sui­ci­der.

ANNEXE

Le chan­tage patro­nal pour faire bais­ser les salai­res
◆ Continental veut des conces­sions sala­ria­les pour ses usines de Toulouse, Foix et Boussens. Ces sites sont mis en concur­rence avec des sites alle­mands, à qui on a pro­posé le même « marché ».
◆ Chez Bosch, les sala­riés du site de Vénissieux (Rhône) avaient pro­posé en 2004 de reve­nir sur les 35 heures pour assu­rer la pér­ennité de leur usine. Or aujourd’hui, ces conces­sions (perte de jours de RTT, gel des salai­res, moin­dre majo­ra­tion des heures de nuit, etc.) ne sem­blent plus suf­fire pour atti­rer de nou­veaux inves­tis­se­ments au sein du groupe.
◆ Le volailler Doux avait pro­posé le même type de marché que Bosch à ses sala­riés. A ceci près que le groupe va aujourd’hui mieux, même s’il est passé par de séri­euses restruc­tu­ra­tions à la suite notam­ment de la grippe aviaire.
◆ Chez Hewlett-Packard, pour limi­ter les effets dév­as­tateurs d’un sévère plan social, les sala­riés ont rené­gocié leur accord sur la réd­uction du temps de tra­vail. Il renon­cent à 12 jours de RTT, et sau­vent alors 250 emplois. Le plan de retruc­tu­ra­tion a été mis en place dans le cou­rant de l’année 2006. Et trois ans plus tard, les sites français sont frappés par deux nou­veaux plans, soit un total de 1 120 emplois.
◆ Sous la menace d’une délo­ca­li­sation à Taïwan, les sala­riés du der­nier fabri­cant français de scoo­ters, Peugeot Motocycles, ont consenti en 2008 à rené­gocier l’accord sur le temps de tra­vail signé en 1999. En accep­tant de passer de 22 jours de RTT à 11, les syn­di­cats obtien­nent de la direc­tion la pro­messe de confier aux sites français la pro­duc­tion d’un nou­veau modèle. Ce projet a permis de main­te­nir les 1 050 emplois menacés.
◆ En Italie, cette fois, c’est le cons­truc­teur Fiat qui a condi­tionné la relo­ca­li­sa­tion de la fabri­ca­tion de sa célèbre Panda à une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vité et de la flexi­bi­lité de son usine napo­li­taine. Le plan pro­posé a été approuvé à « seu­le­ment » 62 % par les sala­riés, alors que le cons­truc­teur avait fixé le seuil à 70 %. Fiat a néanmoins validé, début juillet, la relo­ca­li­sa­tion de la Panda..